31 janvier 1982

J113 - Goa, jour 31 : une pièce en konkany


A. est venue, puis on est allé chercher G. avant d’aller au théâtre près de la chapelle blanche.
Une pièce traditionnelle en konkany. 6 rps l’entrée.
Bousculade indienne malsaine, la nuit tombée, aux portes par lesquelles entrent les gens qui ont le fric pour sortir. Les autres essaient d’éventrer la frêle cloison de roseaux séchés et de palmes tressées. Les flics, dans la pénombre, frappent aussi fort qu’ils le peuvent avec leur lourd bâton, cherchant une main, si possible une tête.
Ambiance assez pourrie, mauvais spectacle. On se casse au bout de cinq minutes.

Autre spectacle, beaucoup plus apaisant celui-là : la mer, les vagues, le sable sous la lune. Ah la la ! Et les cocotiers !


30 janvier 1982

J112 - Goa, jour 30 : hypogueusie


Plus beaucoup de goût pour l’introspection de mes qualités artistiques ou littéraires.

Du coup, j’ai dévoré des pages pour rigoler un peu des autres :
- comique, le Saint qui chasse la blonde, dans une ridicule bande de fumeurs de cigarettes de marijuana et dont le chef de gang est une femme terrible, mi Milady, mi la femme en noir, Miss Ylang-Ylang, bref un rôle bien connu.
- « Punk » : minable comme Best, Super et Maxiposter.
- « Go on with Nexus » ; assez impressionnant personnage.

Je n’ai pas vu A. aujourd’hui.


29 janvier 1982

J111 - Goa, jour 29 : un peu d'anticipation


A. est venue après le déjeuner.
On a passé l’après-midi ensemble : Post Office, livraison du gâteau à cette allemande capricieuse, pause à Calangute après avoir emprunté deux bouquins, un sur les punks, d’un niveau littéraire à peine supérieur à Best, et un de Leslie Charteris « Le Saint chasse la blonde ».

Après le dîner et une conversation avec les hôtes de Kismat Mahal sur la grande véranda : imagination d’un roman d’anticipation à forte tendance psychologique.



APOCALYPSE DANS LES NEURONES

Ça s’est passé assez soudainement en fait, sans véritable transition, mais chacun a du sentir, dans son cœur, le froid glacial qui accompagnait ce glissement d’un monde à l’autre.


J’étais assis à la terrasse désertée d’un café à l’abandon, contemplant la mer, les pieds négligemment posés sur la balustrade de métal dont la peinture bleue s’écaillait un peu partout. Doux moment. La brise marine apportait juste suffisamment de fraîcheur pour modérer le vif ensoleillement, sans perturber la douce nonchalance des corps et des pensées.

Et soudain, cette impression d’être entré dans un sale trip, comme si sous l’emprise de mauvais hallucinogènes, le cerveau se refusait de fonctionner dans les normes préalablement établies, cessait d’émettre de familiers et rassurants stéréotypes pour se mettre à tourner sur lui-même, comme une roue en folie, sans qu’il existe de prises pour la stabiliser.
Immédiatement, j’ai eu la certitude de ne pas être la proie d’un subit dérèglement mental. Le monde était réellement devenu bizarre.
Lentement, comme un drogué qui sent les images se projeter au fond de son cerveau, mon regard a balayé la plage, les huttes de bambous parmi les cocotiers.
C’était terrible, comme après un monstrueux cataclysme généralisé, mais tout était resté intact. Les oiseaux continuaient à chanter, le vent à faire bruisser les palmes, mais ces sons étaient froids, froids comme dans une chambre sourde, froids comme si j’étais sur la lune. Alors j’ai compris que j’étais seul, que plus rien ne me rattachait à la vie, seul et terriblement libre.
Mon regard s’est posé sur un paquet de cigarettes blanc et rouge. Les épais caractères noirs étaient devenus indéchiffrables. Comme une bête abandonné, j’ai essayé de faire marcher ma mémoire, de ramener à moi la signification de cet objet familier. La boite cartonnée s’est alors détachée avec une précision holographique sur le fond bleuté de la table en formica. Elle était violemment posée avec une présence insultante, seule, précisément comme moi, et aucun effort ne pourrait recréer le lien qui, je le savais, avait jadis existé entre nous. 
J’ai détourné mon regard lorsque l’image surréaliste s’est brouillée dans l’eau de mes larmes puis je me suis levé, abandonnant dans ce lieu étranger toutes ces choses éparpillées qui m’avaient appartenues.
-
En descendant les marches de béton, la tristesse a chassé définitivement les relents de panique qui avaient accompagné les premiers effets de la surprise. Un abattement complet, l’intuition d’une fatalité inéluctable tombant sur mes épaules. Démarche pesante et lente, sensation pathétique et accrue de soi-même que l’on ressent à la mort d’un être proche.
-
Pas loin de là, à côté les uns des autres mais étrangers l’un à l’autre, des femmes, des enfants et des hommes inoccupés, hagards et tremblants. Je me suis rapproché d’eux et nous gardions les yeux baissés, comme si nous étions honteux.


Voilà ça peut être marrant mais faut y aller doucement avec un peu plus de finesse que d’habitude.
Du coup, révélation qui j’espère aura plus d’influence sur ma vie future que ce petit feuilleton : la révélation de mon ridicule moi-même, de ses aspirations et ambitions.
C’est écrit noir sur blanc dans la religion bouddhiste mais tout système aveugle. Du coup, je m’efforce de rire de moi et de m’amuser à jouer mon rôle, de rire de ces pulsions mesquines qui dirigent ma vie.
Lettre à J. pour le mettre immédiatement au courant de la dernière métaphysique mise au point en Inde par votre serviteur.
Ensuite quelques beedies, une aquarelle, d'autres beedies avant de sombrer très tard dans le tas de sable.


28 janvier 1982

J110 - Goa, jour 28 : la situation m’échappe


Voilà le moment où jamais de tenir ce journal. Voilà bien la seule chose que je puisse tenir, tout le reste me glissant entre les mains, la situation m’échappe.

Dans ma chambre, sclérosé par plusieurs jours de quasi solitude et mu par une seule préoccupation, la fièvre de créer : poésie et surtout aquarelle.

Seule sortie, la moto jusqu’à Panjim pour rendre visite au docteur.

Hier soir, l’aquarelle m’a échappé, voulant comme un balourd colorier les rigoureuses perspectives de ma chambre qu’avait agencé sur le papier un esprit par trop rationnel.
Du coup, je récidive aujourd’hui en coloriant le sketch du jardin public, et pressens le bide dès la première couleur.
C’est vraiment fascinant, je tourne autour du papier, me piquant et me frustrant tel un chien autour d’un hérisson. Je crois comprendre le feu sacré qui anime le peintre en pleine action, mais ma fébrilité ne dure que quelques instants, les couleurs s’enfuient et me voilà déconcentré, froid et comme exclu de la transe créatrice. Sans feeling, comme devant un instrument qu’on ne sent pas, qu’on ne peut pas faire vivre.
Mes sujets sont mauvais, c’est sûr. Refusant de m’exposer au ridicule de sortir peindre au soleil, ma démarche de graphiste pointilleux est viciée et l’apprentissage dans un livre aussi absurde que les gammes pour comprendre la musique.
A. me surprend dans mon piteux échec.
Nous sortons de cette ambiance étouffante. L’air frais, la mer et ce vaste espace sont rapidement réconfortants. La conversation d’A. est toujours aussi agréable, et ses propos pleins de sens et aussi pleins d’elle-même.
Peu à peu, me revoilà moi-même, comme si j’avais manqué d’air pendant des heures.
A. m’a donc calmé. Ses gestes sont pleins de douceur et d’affection, d’une affection qui seule amène la confiance. Je suis bien en sa présence.

Et le présent dans tout ça ? Le présent c’est mon foie !


27 janvier 1982

J109 - Goa, jour 27


Tout en prenant le petit-déjeuner, je corrige et finis ma traduction en vers libres anglais.
Parfois cela sonne bien, d’autres fois c’est bancal. Il faudra en montrer un échantillon à A. pour déterminer si cela déclenche chez d'autres le même enthousiasme que chez moi.

Le présent file, sans que jamais on en apprécie la continuité savoureuse. L’avenir, c’est comme les souvenirs, comme tous ces petits plaisirs qui sont les grumeaux du présent : on en apprécie que des petits bouts. 

Quelques livres

Yukyo Mishima : « Après le banquet ». Roman japonais d’un auteur qui se suicide de façon tragique.

Luigi Colani : un designer typiquement rital. Autos, motos, avion, hélico, camion aux formes futuristes et à la plastique aérodynamique houleuse. Sièges, sanitaires, satellite-cuisine, capsule-douche, montres, chaussures : de l’expérimental mais aussi du fonctionnel tellement fascinant pour le regard. 

Vian : « Les fourmis ». Ça part vraiment très fort, ce débarquement sur la plage où ça pète de partout, le sang gicle, les membres volent, chaque atrocité est pleine d’insolence, d’incongruité. C’est tellement bien qu'on a envie de plagier son écriture ou son approche de la vie, prise à la légère et avec insouciance.

Miguel-Angel Asturias : « Le pape vert ».

André : « L’immoraliste ». Bien, mais je trouve que le héros n'a rien d’ignoble du tout. Notre immoraliste se comporte en fait comme un bon bougre dès qu’il est en société, jamais de sorties, jamais de révoltes. Il ne veut rien supprimer, il se contente de se découvrir, un peu comme une fleur tardive devait quand même éclore.




26 janvier 1982

J108 - Goa, jour 26 : moto pour Panjim


Promenade motorisée jusqu’à Panjim pour une prise de sang.

Des chiffres ? Peu fameux, tout juste derrière les précédents.
Demain nouvelle analyse pour évaluer à quel point le foie a souffert des mauvais traitements antérieurs. Sachant qu’il faut au moins quinze jours de nouveau traitement, je n’arrive pas à me rendre compte avec précision qu’il me faudra rester ici jusqu’à la mi-février.

Dire que je pensais visiter le Sud, Ceylan et faire de la méditation avant de filer sur le Népal. Comme c’est surprenant. Je me croyais un touriste pressé et quatre mois plus tard je n’ai rien vu.
Pas étonnant qu’on puisse voyager pendant des années, menant, mois après mois, des bouts d’existence bien différents.
Je regrette aussi pour la méditation car cette expérience m’attire toujours autant. Aurais-je d’autres opportunités et serais-je prêt à tenter l’expérience ?
C’est sûrement quelque chose de bien à part, comme de rester un mois dans une pension à faire de l’aquarelle dans sa chambre.

Avant de me coucher, je traduis en anglais les élucubrations sur la vie formulée pour ce journal en début de matinée, et cela dégénère en un poème.
Me voilà tout excité, oubliant ma fatigue et reportant à plus tard les soins qu’exige mon faible état.



_____________________La carte de la journée_____________________

25 janvier 1982

J107 - Goa, jour 25 : nature morte à la pomme


Le foie me serre de très près.
Nous avons passé ensemble toute la journée dans ma chambre.


Nature morte à la pomme, aquarelle




24 janvier 1982

J106 - Goa, jour 24


Réalisation du dessin d'un mystique avec son walkman sur les oreilles, négligeant des dizaines de bouches hurlantes et violemment colorées formant une frise.


23 janvier 1982

J105 - Goa, jour 23 : échange de dessins


Échange de cadeaux entre A. et moi ces jours derniers.
En réplique à ma BD sur Calcutta, elle rétorque un Ganesh des plus exquis.


Ganesh, Watercolor 

Encore une baignade effrénée.
Ce soir-là dessin des ombres chinoises sur soleil couchant pointilliste, long travail à tâtons qui finalement n’est pas trop mal payé.


Ombres chinoises, aquarelle




22 janvier 1982

J104 - Goa, jour 22


La même fastidieuse énumération.
Matin journal.
Déjeuner avec A. Puis café avec gâteau au chocolat.
Plage.
Dîner à Calangute.
Emprunt des "Fourmis" de Vian et de "l’Immoraliste" d’André.

L’énergie revient, je me dépense dans la mer. Mange tout le retard accumulé.
Mais mon foie ne suit pas ou plutôt, il suit de trop près, ça en devient même agaçant à la fin. Je le sens là tout près, présent, cherchant à chaque instant à se faire remarquer, à faire l’intéressant devant les autres organes sages comme des images.



21 janvier 1982

J103 - Goa, jour 21


De mieux en mieux.
Dessin matin.


Science-fiction, aquarelle, Calangute


Déjeuner et dîner au Kismat Mahal.
Après-midi plage.
Quelle exaltation !


20 janvier 1982

J102 - Goa, jour 20


Le bouchon de liège, il note à part sur son calepin que ce jour, il a dessiné, s’est baigné dans l’après-midi et a vendu des cakes sur la place de Calangute, aux pieds de la statue anonyme qui porte en exergue « He saw God in the poor so the poor saw God in him ».


La mer, aquarelle, Calangute


19 janvier 1982

J101 - Goa, jour 19 : poisson bouilli à la papaye



13 Janvier, 14 Janvier, 15 Janvier, 16 Janvier, 17 Janvier, 18 Janvier, 19 Janvier...


Une semaine plus tard, le même prévoit de rester une autre quinzaine, de reprendre à zéro le traitement dont il a, comme un idiot, gâché les premiers fruits.

Aujourd’hui, rien.
Aquarelles, etc…
D’où l’utilité de tenir un journal au jour le jour qui recueille le fruit des expériences et les pensées quotidiennes.
Plage l'après-midi.

Les jours passent, s’enfuient, sans que nul événement ne les marque ni que l’on puisse, les distinguant les uns des autres, les ramener à soi un court instant.


Le palais du destin

J’ai changé de logement et établi mes quartiers dans une pension de famille, Kismat Mahal, le palais du destin, près de la maisonnette de A. et G.


La maisonnette de A. et G., près de Kismat Mahal, Calangute

J’allais m’embêter, tout seul dans cette chambre dénudée, rien qu’un sommier de corde tressé et avachi et une véranda pour regarder la mer, à l’ombre.
Ici, je pourrai commencer ma diète et loger dans des conditions moins rudimentaires.

Deux nuits passées chez mes amis indiens en attendant que ma chambre se libère.
Début d'une bande dessinée sur Calcutta.
Début de l'apprentissage de l’aquarelle, d'un livre de Miguel Angel Asturias, très dense mais sibyllin comme du Malraux, même richesse absconse.


Nouveau traitement

Après quelques jours d'un régime de poisson bouilli - papaye, je vis mieux mais cela donne des aigreurs d’estomac terribles qu’il me faut combattre avec un médicament de plus, du Gelusil®.

Dès la seconde prise de sang, les résultats du serum bilirubin me donnent assez d’aplomb pour me payer un poulet frites à la sortie. Et négliger la visite du praticien.
Dans la foulée, je stoppe peu à peu tous ces médicaments inutiles, certainement responsables de mes aigreurs, je courre droit à l’ulcère sinon, et les remplace par une nourriture bien saine et bien grasse que j’appuie à grands renforts de ces gâteaux à vendre, 1 roupie 75 la tranche, avec custard ou cream.

Seul le Liver 52, ces petits comprimés marrons clairs dont la couleur et la chaude texture rappellent le son, haché puis séché sur une platine, garde encore quelque place dans mon estime. Peut être à cause de son nom marrant, ou peut être car sa boîte de plastique jaune, avec sa capsule marron, ferme bien.


Découverte de A.

Nous passons de longues heures à parler. Fascinante découverte l’un de l’autre pendant plusieurs jours.
Elle est mignonne, vive et pleine d’idées, douée pour tout et révoltée contre ce monde indien, société figée et crispée.
Exception que ce couple, à la culture occidentale et aux racines indiennes, à l’esprit critique des plus acérés, pertinent tant au niveau des sujets abordés que des opinions.
On parle, on parle. La vie n’est plus qu’un concept, avec ses grandes articulations historiques, avec ses événements, leurs influences, leurs conséquences, que seuls l’art et ses réalisations peuvent parsemer de petits cailloux blancs.
Dramatique son histoire, ses souvenirs ; pathétique l’avenir, même si immenses les espoirs.
Présent palpitant où deux vies se croisent et se synchronisent un court instant. Peut être le présent s’attarde-t-il de trop. Et les jours qui suivent l’évocation de la vie à grandes envolées intellectuelles, à grands coups de pinceaux inspirés, à prôner le libre devenir et ses moments charnières, n’apportent toujours que des heures sans nouveautés ni futur, qui lassent notre enthousiasme.
Demain, n’est pas un autre jour. C’est le même. Ce n'est qu'en se retournant que l'on aperçoit alors la route qui sinue.

Ça continue donc, les jours passent ponctués de petites joies, de petites satisfactions. Ils passent et engendrent la même lassitude, qui s’intensifie puis retombe, régulièrement et sans cesse, comme la vague.


_____________________La carte de la journée_____________________

18 janvier 1982

15 janvier 1982

J097 - Goa, jour 15 : aquarelle


Palette de couleurs, aquarelle, Calangute

Triangles et carrés, aquarelle, Calangute


12 janvier 1982

J094 - Goa, jour 12 : ça traîne


Ce matin, les copains sont partis, dont l’un avec 500 rps dont je ne peux m’expliquer la disparition autrement, vu la modicité de mes dépenses ces derniers temps, surtout alimentaires. Mais ma comptabilité vague ne me permet pas d’en mettre ma main à couper.

Comme le relatent les quelques notes prises ce jour-là : « Je ne me sens toujours pas en forme et j’aimerais me lever le matin plein d’énergie, livrer mon corps aux vagues (sic !) et le nourrir ensuite de bonnes choses que me suggérerait un sain appétit. Au lieu de cela, je traîne toute la journée, me sentant très faible vu ce que je mange. Je resterai au minimum encore deux jours ici. Si au moins je pouvais y développer un peu plus de dynamisme, peindre, écrire et faire beaucoup de courrier ».


11 janvier 1982

J093 - Goa, jour 11 : aquarelle et vente de gâteaux


Petite activité aujourd’hui.

Je me traîne jusqu’à la bibliothèque du marché.
J’emprunte un SAS « Vengeance romaine » dont la subtilité convient parfaitement à mes maux de tête, ainsi qu’un ouvrage fort bien fait, "Comment peindre à l’aquarelle". 

Comment peindre à l'aquarelle ?

Crochet par le Post Office.

Ce soir, A. et G. tentent pour la première fois leur business de gâteaux sur la place de Calangute. Presque deux gâteaux vendus !



10 janvier 1982

J092 - Goa, jour 10 : le paradis infernal


Neuf jours déjà passés dans cet infernal paradis. De quoi visiter une partie du Rajasthan, de quoi tomber hépatique.
Le temps qui passe n’a plus la même urgence pour moi. Seuls me préoccupent le climat que j’aurais au Népal, si je tarde de trop, ainsi que quelques impératifs de route comme ce stage de méditation à Igatpuri.

Seul événement de cette journée - ou était-ce la précédente, ou la suivante ? -, mon bain dans l’eau qu’on tire du puits.


Le puits de la maison, Calangute, Goa

Lançant au fond du gouffre le récipient qui sert à puiser l’eau, je laisse rapidement filer la corde entre mes doigts. Elle se déroule trop vite, entraînant avec elle ma boite à savon et son contenu. Je n’ai que le temps de voir filer un objet rouge et plastifié, de le reconnaître pour que jaillisse mon indignation exaspérée. C’est le troisième savon que j’égare dans de tels trous sanitaires, sans compter une lampe de poche.
Le savon coule, mais une moitié de la boite en plastique a la bonne idée de flotter au fond du puits.
Ceci donne lieu à une scène de repêchage assez comique dans laquelle une joviale goannaise tente d’attirer ma boite dans le périmètre d’un seau qu’elle manie à bout de bras dans le faisceau de lumière d’une lampe de poche.


09 janvier 1982

J091 - Goa, jour 9 : les marchandes de fruits


Journées qui commencent à être intéressantes...
Je me réveille le matin, emprunte le mini matelas en mousse de Christophe et le déroule sur le banc de pierre qui borde la véranda, sur le côté gauche.


Vue de la veranda, Calangute

Et c’est parti pour de longues heures.
Seuls événements : les marchandes de fruits qui passent avec leurs lourds paniers sur la tête, proposant watermelon, coconut, tangerine, bananas et coconut cake.
Certaines d’entre elles sont souriantes, mais la plupart ne songent qu’à vendre le maximum sans sourire, sans qu'aucun échange ne naisse, même au bout du cinquième ou sixième passage. On n'est juste des touristes qui ne valent pas la moindre attention. On n'est rien et une série d’achats plus tard, on reste rien. Une semaine plus tard, je commencerais à les prendre vraiment en grippe.
Heures qui s’écoulent donc, sans avoir la force ni l’envie de prendre un livre ou un crayon, de dessiner, d’écrire ou lire. Je suis seulement capable de m’allonger, rompant de temps en temps cette monotonie par une banane, un peu plus tard par une orange….

Le soir venu, je vais néanmoins en ville, en quête d’une nourriture quelconque. Je craque innocemment pour une french soup, dont le fromage s’avère ultérieurement charger mon estomac plus que nécessaire.
Mes fesses me blessent toujours autant pour marcher et pour m’asseoir, pour m’allonger et pour changer de position. J’ai toujours cette démarche de canard poliomyélite.


08 janvier 1982

J089 - Goa, jour 7 : l'acupuncture, c'est terminé !


Encore l’acupuncture, cette fois dans les oreilles.
Je préférais les mollets, c’était nettement moins douloureux.
Surtout que, lui suggérant fort à propos que j’avais peut être une hépatite - je commence à prendre la teinte de mes frères jaunes - le docteur m’a soutenu que non.
Mais son assistant a néanmoins planté symétriquement deux aiguilles supplémentaires à l'endroit où, sur sa carte, est écrit « hepatitis ».


Ma confiance est en chute libre

Je n’ose refuser, lorsque, après une heure d’attente, l’assistant me demande de me trimballer avec les aiguilles encore fichées, pendant que j’irais à Panjim faire une analyse de sang qui me donnera un diagnostic crédible.

Le bus est manqué. J’ai trop perdu de temps avec ces zigotos que je décide de ne plus fréquenter.

Un peu plus tard, dans les rues de Calangute, je rencontre mon américain qui me débarrasse de mes petits dards et les fiche sur sa serviette.
La médecine est dans la rue.


Panjim

Trop tard pour l’analyse que je dois faire à jeun et qui est reportée à demain.
J’obtiens néanmoins mes photos ainsi que ma prolongation de visa.


Photomaton à Panjim, Goa




_____________________La carte de la journée_____________________

J090 - Goa, jour 8 : la tournée des églises, hepatitis !



Panjim

Prise de sang pour 20 roupies.
Dans l’attente du résultat, visite de Old Goa qui n’est qu’à 8 kilomètres.


Tous les saints de Old Goa

Chaleur accablante, heureusement l'endroit est truffé d’églises.
Epuisé, je m'y repose longuement, puis plus tard me traîne ébloui et assommé par le soleil jusque dans un autre havre d’ombre et de paix où j’essaye de récupérer.

Sainte-Catherine est très austère de l’extérieur.
A l'intérieur, un flamboyant retable baroque peuplé de petits saints que bordent, dans le chœur, des stalles de bois sculptés.
(note : plus sur Sainte-Catherine)

Saint-François est nettement plus attachant. Il y règne une ambiance particulière, sans doute du fait de sa désaffectation. Un seul tapis rouge de corde tressé, pas un siège, l’endroit semble abandonné ce qui confère au lieu cette atmosphère un peu fascinante de mystère. Le retable du fond est peu lumineux, les couleurs en sont fanées et forment un camaïeu défraîchi. Comme dans les vieux greniers, un rayon de soleil se glisse intact, jet de lumière qui apporte le contraste, brûlant une petite surface au sol dans cet espace sans vie mais plein d’histoire.
(note : plus sur Saint-François)

Basilique du Bon Jésus, qui enferme le corps momifié de saint François-Xavier dans un tombeau compliqué. Monument de marbre blanc plaqué de sculptures de bronze, supportant un cercueil d’argent doublé de verre au travers duquel on aperçoit la tronche décrépite de ce bon vieux François-Xavier.
(note : plus sur la Basilique du Bon Jésus)

Au dessus, une salle expose des œuvres religieuses, tableaux d’une lourdeur symbolique terrifiante à l’image de toute la peinture indienne moderne : ce ne sont que lueurs grandiloquentes, postures exagérées, espaces apocalyptiques ou hauteurs éthérées. Tout doit contribuer à évoquer des situations surnaturelles qui susciteront chez le spectateur des sentiments profonds, les laissant ébahis devant tant de représentations d’une puissance mystérieuse et quelque peu redoutable.
On peut voir un saint François-Xavier livide ou plutôt verdâtre, se traînant au pied d’un écriteau que le metteur en scène a cru bon de placer là, situant ainsi la scène dans le temps et dans l’espace, sur lequel sont inscrites les lettres : « CANTON ». 1552 ap. J.C., Saint François-Xavier va mourir. Silence dans l’assistance. Les hommes se découvrent tandis que quelques vieilles se signent. 

A cette heure, je ne fais pas trop mon fiérot.
Je suis allongé sur un banc que j'ai atteint en titubant, me remettant avec difficulté du soleil qui tape fort, si fort, dès que l’on sort du périmètre tracé par l’ombre de ce grand arbre sur le sol recouvert de feuilles mortes.
Seule nourriture : quelques bananes et quelques mandarines avalée avec difficultés, quartier par quartier, en mastiquant bien à fond.
Toutefois, j’ai l’exigence, l’impitoyable exigence d’imposer à mon corps fatigué qu’il me traîne jusqu’à Saint-Gaëtan, dernière église à figurer sur le plan du Guide Bleu.

Je ne remarque pas l’architecture copiée de Saint-Pierre de Rome, si ce n’est le dôme intérieur où j’essaye de prendre quelques repos allongé sur un banc. Peine perdue. Chaque fois que ma somnolence commence, j'en suis tiré par des touristes indiens auxquels je dois éviter la surprise d’une rencontre choquante avec un hippie européen aux poses sacrilèges.
(note : plus sur Saint-Gaëtan)


Résultats du laboratoire 

Serum bilirubin direct : 4 mgs % et indirect 5,2 mgs %.
Alors docteur, c’est un garçon ? Non, une hépatite. Je l’ai. Satisfait, je le suis, de savoir enfin à quoi m’en tenir. Je n’aime pas l’incertitude, ça rend malade.
Visite à un physicien qui conclut à une légère hépatite, me donne quelques médicaments et me conseille de boire beaucoup. De la bière.

Quelques snacks au coffe-shop du Fidelio où l’ambiance propre me semble repousser les virus qui m’obsèdent.

Retour à Calangute, dîner léger avec les nouveaux amis indiens, A. et G.
Un disciple du docteur aux aiguilles est là. Pour rigoler, je l’informe de la formelle nouvelle. Il tombe des nues, me regarde tout étonné en balbutiant : « mais,…mais le docteur avait dit que… ». Je souris de voir sa confiance ainsi mise à rude épreuve.

Finissons-en avec cette journée et cette nuit durant laquelle je me lève pour aller vomir mes aliments autour de la maison.
A droite, le sérum gammaglobulines, à gauche, les vitamines intramusculaires, mes fesses commencent à faire vraiment souffrir, paralysant mon arrière-train, rendant ma démarche cocasse, traînante et pitoyable.


_____________________La carte de la journée_____________________

06 janvier 1982

J088 - Goa, jour 6 : toujours de l'acupuncture


Ce matin, acupuncture

Diagnostiquant une faiblesse du foie, on change l’emplacement des banderilles.
La grosse italienne, bécasse et gentille, cherche « lever » (le foie) sur sa carte de l’oreille pour être sûre d’être au bon endroit. Ensuite elle tente de localiser l’emplacement exact avec un petit appareil électronique muni d’une pointe qu’elle écrase un peu partout dans l’attente d’un bip-bip plus violent. Cet engin ne m’inspire pas plus confiance qu’un branchement quelconque au sein du synthé artisanal bricolé par mon frère. La fille se guide d’ailleurs davantage sur mes grimaces de douleur que sur les ridicules bips sonores.
Après avoir localisé les endroits supposés guérir le foie, elle m’y enfonce des aiguilles extrêmement douloureuses. Lorsqu’elle me demande si je sens quelque chose, je répondrais n’importe quoi pour qu’elle me laisse tranquille car elle est là, pataude, tournant autour de mes oreilles, inquiète d’avoir trouvé le bon endroit, et prête à corriger son approximation en recommençant son semis de douleur un peu plus loin. Non merci, sans façon !
Me voilà pestant quelque peu devant tout ce temps perdu, assistant à ce petit jeu avec mon sens de l’observation habituel qui tourne à l’aigre : « et si on jouait au docteur ? ».


Enfin libéré

Me voilà en possession de quelques noms de médicaments, dont un qu’il me faudra couper avec du vin. Le docteur semble très fier de prescrire « le vin que vous préférerez », curieux produit miracle pour un malade du foie.
Ma foi, elle, est bien entamée par les agissements de mes docteurs. Je les quitte, disant « OK ! OK ! » à tous ceux qui autour de moi multiplient les conseils les plus divers, m’éloignant progressivement en acquiesçant continuellement, peu désireux de contrarier cette bande de cinglés.

Pour me changer les idées, je vais me baigner, puis partage avec Christophe une assiette de prawns qui me resteront sur l’estomac.
Ça n’était pas indiqué, mais le docteur m’avait tellement seriné que je n’étais qu’anémié, j’avais envie de vivre quoi !

Et ça valait la peine : ce soir-là, le coucher de soleil enflammait l’horizon d’une irradiation orange, laissant la mer retrouver un bleu intense venant des profondeurs et offrant un spectacle splendide.
« Bis ! » « Non ! Demain ! ».

05 janvier 1982

J087 - Goa, jour 5 : encore de l'acupuncture


Nouvelle séance d’acupuncture, qui dure trop longtemps à mon goût.
Je reste assis sur la véranda, les aiguilles fichées aux endroits adéquats, et attends de ne plus rien sentir, moment où il faudra les enlever.
Ça dure, dure et dure encore, pendant que les autres écoutent le docteur, feuilletant des bouquins spécialisés, s’occupant d’une allemande aux problèmes gynécologiques à qui le docteur promet un retour de ses règles dans les quinze jours. J’aimerais connaître le résultat, son efficience dans le domaine psychosomatique.

Après cette seconde séance, bus pour Panjim où je dois régler l’histoire de prolongation du visa. Je suis un peu anxieux, on m’a dit que c’était difficile, qu’il fallait payer des bakchichs.
En définitive, tout semble aller pour le mieux et ne demandera que deux jours.  

Soleil de plomb pendant l’après-midi, alors qu’il me faut trouver un photographe afin d’obtenir des photos au format passeport. Il me les faut pour dans deux jours et on me charge le tarif express !
C’est la vie, on est touriste ou on ne l’est pas.


_____________________La carte de la journée_____________________

04 janvier 1982

J086 - Goa, jour 4 : acupuncture et moxibustion


A tout hasard, je vais voir l’acupuncteur devant le restaurant Relax.

Il faut dire que ça chauffe aussi dans ma tête : entre la fièvre que je trimballe et les lectures sur la méditation de ces derniers jours, ça fait un joli micmac inconfortable.

La séance a commencé depuis une dizaine de minutes et deux aiguilles sont déjà fichées dans mes mollets, lorsque je sens une bonne grosse nausée venir de loin.
Le temps qu’on m’arrache les fines aiguilles d’acier et mon petit-déjeuner finit au pied de l’escalier, chaque spasme répulsif m’arrachant des larmes de douleur.

Pour me remettre d’aplomb, les gaillards pratiquent la moxibustion qui consiste à brûler une bourre cotonneuse et grise dans le cratère du nombril. Ça fait très chaud et, curieusement, une réelle sensation de soulagement en résulte. Dans mon abdomen moite et crispé se propagent de sécurisantes et bienfaisantes vagues de chaleur, irradiant dans le centre du corps une énergie moins fiévreuse que celle qui me ronge le cerveau.
Ils reprennent leur drainage de l’énergie en enfonçant des aiguilles au sommet des mollets et les titillent jusqu’à ce que je sente « quelque chose ».
Le barbu américain ne semble pas très compétent mais cette première séance ne m’a pas complètement désillusionné.


_____________________La carte de la journée_____________________

03 janvier 1982

J085 - Goa, jour 3 : vraiment malade


Ça commence à aller vraiment pas bien. Fièvre bizarre.
Christophe me déconseille d’employer les antibiotiques pour le moment.

Dîner.
Au cours de la nuit, je me lève pour aller vomir.

_____________________La carte de la journée_____________________

02 janvier 1982

J084 - Goa, jour 2 : un endroit paradisiaque


Tôt le matin, dynamisme flamboyant suscité par l’enthousiasme de se trouver dans cet endroit paradisiaque.

Course effrénée avec les nouveaux copains jusqu’à Baga Beach, baignade avant de boire une tasse de thé.

Plus tard, la chaleur se fait vraiment forte alors que nous traînons à Calangute dans l’après-midi, à la recherche d’une banque avec coffres.


_____________________La carte de la journée_____________________

01 janvier 1982

J083 - Arrivée à Goa


Nouvelle année.
Aucune coupure, aucun nouveau départ. Le même qui continue.

Assez vite, le bateau atteint son but.
Nous passons devant les plages d’Anjuna, de Calangute, avant d’accoster à un quai bondé que surplombe un grand poster « Welcome to Goa ».
Comme des singes, les locaux grimpent dans le bateau afin d'y réserver leurs places pour un départ dans quelques heures. Il y en a partout, de ces anxieux de ne pas être servis, remontant fébrilement à contre-courant, gênant les passagers qui désirent sortir.

Bus de Panjim pour Calangute.
Rencontre de Christophe, Ulrich et Eric avec qui nous prenons un petit-déjeuner face à la mer.
Puis, nous dégottons une maison non loin de la plage.

Nous coucherons dehors tellement il fait bon.
Mon état de santé empire.

Curieux rêve qui, cette fois, me fait plutôt pencher en faveur d’un retour à la maison.

_____________________La carte de la journée_____________________

1er Janvier 2014 : et la suite ? Vos avis sont bienvenus !

Bonjour à toutes et tous,

Ainsi se termine la mise en ligne de la première partie de ce voyage en Inde, avec 82 billets quotidiens publiés depuis le 10 Octobre, date de mon départ pour Delhi.

Un grand merci à tous ceux qui m'ont aidé et soutenu dans cette démarche.
Un grand merci à tous les internautes lecteurs qui m'ont suivi durant cette période, notamment la communauté des bloggeurs voyageurs que j'ai appris à connaître.

A Goa débute une phase transitoire de plusieurs semaines, période de convalescence et d'introspection, période de rencontres marquantes également.

C'est pour moi l'occasion de faire une pause, le format de publication quotidien étant particulièrement contraignant à maintenir.

Je m'interroge sur la poursuite de ce projet et sur la forme à lui donner :
- continuer la publication de billets quotidiens ?
- passer à un format hebdomadaire ?
- restreindre le contenu des billets aux narrations "touristiques" ?

Je profite donc de ce moment charnière pour solliciter votre participation afin que vos remarques (sur la forme du blog, le contenu textes, images, cartes et dessins, le rythme de publication) et des échanges me permettent d'apprécier les suites à donner à la publication de ce carnet de voyage.

Merci par avance de réagir à ce billet par le biais du commentaire situé en bas de cette page.

Je vous souhaite une excellente année 2014 et la réalisation des projets qui vous tiennent à coeur.

Swim In India