Citations

Quelques citations glanées de-ci de-là...


Sur le voyage



Amer savoir, celui qu’on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :
Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui !
Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ;
Pars, s'il le faut. L'un court, et l'autre se tapit
Pour tromper l'ennemi vigilant et funeste,
Le Temps !

Le Voyage
Charles Baudelaire
Les fleurs du mal (1861)


Le 5 décembre à midi, après un an et demi de voyage, j’ai atteint le pied de la passe.
[...]
J’ai passé une bonne heure immobile, saoulé par ce paysage apollinien. Devant cette prodigieuse enclume de terre et de roc, le monde de l’anecdote était comme aboli.
[...]
Ce jour-là, j'ai bien cru tenir quelque chose et que ma vie en serait changée. Mais rien de cette nature n'est définitivement acquis. Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu'on porte en soi, devant cette espèce d'insuffisance centrale de l'âme qu'il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre et qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sûr.

Nicolas Bouvier
L'usage du monde (1963)




Nous savons bien que tout voyage est illusion et tout récit de voyage est mensonge. Nous ne voyons pas, nous croyons voir, et d'ailleurs la vue est trompeuse, par nature même. C'est pourquoi Jean de la Croix écrivait que nous ne voyageons pas pour voir, mais pour ne pas voir - c'est-à-dire pour essayer d'atteindre autre chose que la surface lisse et fugitive des choses, pour nous voir aux lumières d'ailleurs.

Jean-Claude Carrière
Invitation, Dictionnaire amoureux de l'Inde (2001)



Sous-produit de la circulation des marchandises, la circulation humaine considérée comme une consommation, le tourisme, se ramène fondamentalement au loisir d'aller voir ce qui est devenu banal. L'aménagement économique de la fréquentation de lieux différents est déjà par lui-même la garantie de leur équivalence. La même modernisation qui a retiré du voyage le temps, lui a aussi retiré la réalité de l'espace.

Guy Debord
La société du spectacle (1967)



Le voyageur doit frapper à toutes les portes avant de parvenir à la sienne.

Rabindranath Tagore
L'offrande lyrique (1912)



Sur le récit du voyage




Après le plaisir de voyager, le plus grand est de raconter ses voyages ; mais le plaisir de celui qui raconte est rarement partagé par celui qui écoute ou qui lit. Aujourd'hui nul pays n'est nouveau, tout le monde a été partout.

Lettre de Jean-Jacques Ampère à Sainte-Beuve
"Une course dans l'Asie Mineure" (1842)


Si je n'avais pas des choses extrêmement curieuses à vous écrire, je ne prendrais pas la peine de vous adresser une lettre et de vous parler de mes voyages. On a, dans ces derniers temps, tellement abusé de l'idée, du fait voyage, que j'avais résolu de ne jamais rien publier, de même que je ne disais rien des pays que j'avais visités : d'abord pour ne pas être vulgaire, puis pour ne pas parler de moi, le je étant le pronom le plus ennuyeux que je sache pour un lecteur.

Honoré de Balzac
Lettre sur Kiev (1847)


Pour retrouver le fil.
Ecrit six ans plus tard.
[...]
Et puis pourquoi s'obstiner à parler de ce voyage ? quel rapport avec ma vie présente ? aucun, et je n'ai plus de présent. Les pages s'amoncellent, j'écorne un peu d'argent qu'on m'a donné, je suis presque un mort pour ma femme qui est bien bonne de n'avoir pas encore mis la clé sous la porte. Je passe de la rêverie stérile à la panique, ne renonçant pas, n'en pouvant plus, et refusant de rien entreprendre d'autre par peur de compromettre ce récit fantôme qui me dévore sans m'engraisser, et dont certains me demandent parfois des nouvelles avec une impatience où commence à percer la dérision. Si je pouvais lui donner d'un coup ma viande et qu'il soit fini ! mais ce genre de transfusion est impossible, la faculté de subir et d'endurer ne remplaçant jamais, je le sais, l'invention.

Nicolas Bouvier
L'usage du monde (1963)




J’érigeai sur le rivage où j’avais pris terre pour la première fois, un gros poteau en forme de croix, sur lequel je gravai avec mon couteau, en lettres capitales, cette inscription :
J’ABORDAI ICI LE 30 SEPTEMBRE 1659
Sur les côtés de ce poteau carré, je faisais tous les jours une coche, chaque septième coche avait le double de la longueur des autres, et tous les premiers du mois j’en marquais une plus longue encore : par ce moyen, j’entretins mon calendrier, ou le calcul de mon temps.
Daniel Defoe
Robinson Crusoé (1719)



Préface
Douze ans me séparent de ce voyage. Il est là. Je suis ici. On ne peut plus grand-chose l'un pour l'autre. Il n'était pas une étude et ne peut le devenir, ni s'approfondir. Pas davantage être corrigé.
Il a vécu sa vie.
H.M. 1945


Préface nouvelle

Le fossé s'est encore agrandi, un fossé de trente-cinq ans à présent.

Et l'Asie continue son mouvement, sourd et secret en moi, large et violent parmi les peuples du monde.

H.M. 1967

Henri Michaux
Un barbare en Asie (1933)




Sur le voyage en Inde




Quoi de plus simple, alors, que de prendre un billet d'avion et de se laisser vivre quelque temps dans le no man's land de l'Inde, cette prolongation du monde de l'enfance où semblent s'être réfugiés les dieux, tous les dieux.
[...]
Si l'Inde des mille et un dieux, des contes de fées et des aventures, est pour nous le symbole du voyage, c'est surtout parce qu'elle conjugue les deux voyages, géographique et intérieur.
Régis Airault
Fous de l'Inde (2002)



Dans un ensemble de peuples où tout est sacré, et où ce qui n'est pas sacré peut à chaque instant le devenir, les histoires fabuleuses se racontent par poignées.

Jean-Claude Carrière
Légendes modernes, Dictionnaire amoureux de l'Inde (2001)



2 commentaires:

  1. Merci pour ces trésors qui mêlent avec brio la musique de la langue et les marques indélébiles laissées par de lointaines contrées dans l'âme vagabonde du voyageur.

    J'aime aussi beaucoup cet autre passage de "l'usage du monde" de Nicolas Bouvier : "Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis, se retire, et vous replace devant ce vide qu’on porte en soi, devant cette espèce d’insuffisance centrale de l’âme qu’il faut apprendre à côtoyer, à combattre, et qui, paradoxalement, est peut être notre moteur le plus sûr."

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  2. Merci pour votre mot. J'avais également relevé cette belle citation que vous proposez et que je rajoute bien volontiers. Les mots de Nicolas Bouvier recèlent une mélodie mélancolique qui font vibrer "l'âme vagabonde du voyageur". Une très bonne journée pour vous.

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Merci pour vos commentaires...